LE CERCLE D'HISTOIRE ET DE TRADITIONS DE LIBIN
Légendes
Les « Leux» de Smuid
Les gentilés et les blasons populaires traversent les générations. Par contre, les légendes qui les inspirent connaissent souvent de nombreuses variantes. Elles offrent à la population lafaculté de les revoir sans cesse, de les adapter, de les enrichir ou de les édulcorer suivant leur propre imagination.
Voici une version revue par une authentique Tièsses di Tchfau.
Une vieille histoire sortie de la nuit des temps, on ne sait par quel miracle !
On avait bien vite dépêché la bonne vieille Mardjau ; le petit Jean-Guillaume étouffait et gémissait dans sa pauvre paillasse de balle. La guérisseuse eut beau épuiser son répertoire d'incantations accentuées de rites cabalistiques, elle eut beau appliquer des cataplasmes savamment préparés, les étouffements se firent de plus en plus oppressés. Il fallut se résigner. Et devant la misérable masure, un rassemblement de tous les coins du village consterné, angoissé, discutait à mi-voix. Le cheval, le maudit cheval était encore passé hier soir après le couvre-feu. La satanée bête avait jeté son dévolu sur la famille trop heureuse du petit Jean.
Cette fois, c’en était trop ! Que de maléfices étaient tombés drus comme grêle sur le malheureux village. N’allez pas les conter à Arville ou à Smuid, ils en savent autant que vous. Que de couvées ratées ! Dans le coin de l’étable, les couveuses laissaient refroidir les œufs. Les veaux ? Une calamité ! Je ne sais par quelle malédiction ils étaient exterminés. Les cochons tournaient dans 1a porcherie ; les essarts tellement maigres cette année laissaient augurer une disette pour l’hiver tout proche ; et le pain qui filait aux canicules… Et pourquoi le lait tournait-il si facilement ? Et plus grave encore ! PIus d’une gentille « crapaude » dans la vingtaine cachaient leurs yeux rougis, 1es soupirants d'hier les abandonnaient à leur triste solitude. Mais 1e plus dramatique, c’étaient les catastrophes comme celle d’aujourd’hui.
Mais quel était donc ce cheval ? Des charbonniers tapis dans les fourrés vous diront qu’ils ont vu plus d'une fois la "macrâle" de Marie Gobaye, près de son rocher, se muer en cheval, je ne sais par quel sortilège, pour porter des actes de terreur dans les trois villages.
II fallait en finir. Les habitants des trois localités sinistrées se réunirent très tôt au lieu fatal. Mirwart venait avec des bâtons, Smuid tenait des loups en laisse, le mayeur d’Arvllle, muni d’un violent poison à verser dans la bouche de la sorcière endormie, s’approcha lentement, trop lentement, tellement que, ô fatalité, la femme se réveilla, devint cheval qui escalada le Tier d'Al Fournelau et se sauva dans le bois d'Arville. Smuid 1âcha les loups à la poursuite de la bête, Mirwart les rejoignit à 1a fin du carnage. Il ne restait que la tête du cheval.
Planté au bout d'un bâton, 1e trophée fut rapporté au village. C’est depuis lors que ceux de Mirwart s’appellent les Tièsses di Tchfaus, ceux de Smuid, les Leux et ceux d’Arville, les Lum’çons.
Louis Culot
Léjande su les macrâles du Viance
Scrîjadje an walon pa Ernest Benoît d’après èn ârtike du A. Jacoby
Duspûs les timps imémoriôs, les macrâles d’Ardene su rassan-nint pou leûr grande èt curieûse fièsse sabatike. Pou leûr rassanmint, i lsî falot èn-andrwa bin ecspôzé an plin midi ; èt ki dispôsot d’in chour d’êwe du kalité ècsèpcionèle. Lès macrâles du Viance avint l’andrwa ki falot : ôs « Ropettes » avu l’chour du « Rèbèfwè » k’on loume ossi l’chour du gros tiêne. Tous l’z-ans pou l’solstice d’èsté, les macrâles du Viance invitint leûs conjénères du Cuî, des Barakes, du Banalbwès, d’Hamwède, du Mirwô, mês ossi d’après Sugny, Lîresse, Rotchô èt du toute l’Ardene pou leû grand congrès. C’èstot l’ocâsion pour z-èles du moustrer tout leûr sawer-fé. La cé k’avot prèsanté lu mèyeû toûr èstot couronéye Rin-ne des macrâles d’Ardène. C’èstot ossi lu momint pou lès novices du passer l’èpreûve pou l’intronisâcion ki consistot a passer a pîd ‘chô su in brégis’, èt prèter alléjance ou diâle k’astot an principe présint a toute ces cérémonies là.
Pou leûs agapes, tous lès viadjes des alantoûs èstint mètus a contribucion èt i valot mî s’î soumète, peûr du ramasser in môvês sört. Insi, la Höte Lîbin, duvot apwârtu trwâs gros canârds èt la Basse Lîbin, deûs ôyes du l’ènée. Hatrivô livrot trwâs djambons d’ô mwins deûs ans conservés dins la cène du bwès. Örvîe, chîs p’tits couchèts du lècê ambrochés prèts-a rosti, èt lès djins du Rdû, chîs can’tons. Transine apwârtot ène douzin-ne du capons ; Anlè fournichot trwâs gros tounês du bîre. Viance avot la tchèrdje avu Glaireûse du prèparer hût grosses crôsses pouyes èt deus coqs pou fwère lu bouyion. Lesse naturèlmint fournichot les trûtes, èt Maissin don les djîns n’avint nin la pôrt la pu ôjite, astint oblidjés d’fourni trwâs hérons novèlmint touwés ; les filets estint destinés pou la novelle Rin-ne, les cuisses, les pattes èt la tièsse, servint a cûr lu pèchon, a kî l’ôle spéciâle dènot èn’arôme èt ène saveûr rare. On dit minme ku l’cé ki nnès gousté nu sét pus s’ès passer. Pou amonner toute cés dinréyes la, c’èst les fames du tchèke viadje ki s’ès tchèrdjèt. Eles ont bin trop peûr ku leûs omes nu s’lêchinje antrinner pôs macrâles, ki n’ont nin fwâr bone rèputacion.
Lès danses èt lès dèmonstrâcions c’mincint a l’pikète du djoûr, pou s’terminer kand l’solê su catchot padrî Tchanmont. Les tounês d’bîre sont dja fwârt adômés : les danses, ça dène sè. Pou l’amougni c’est lès pus ancyiènes ki s'unnoccupèt. Lu bouyion èstot prèparé pa l’pus ancyiène macrâle, ki an machant s’bouyion invokot Bèlzébuth èt choufule dussus en toûrnant pou zè fwère in breûvadj’ majike.
La rinne ès dèsignéye, lès novices k’ont passé l’èpreûve vont duvnu sa cour. Et tortotes, èles vont su prostèrner duvant l’diâle èt l’î prèter allèjance. La novèle rinne drouve lu r’pas ; les novices l’î apwartèt les filèts du héron. Toutes lès macrâles sont la, ki mougnèt, ki buvèt, ki tchantèt, c’est la vrêye guindaye.
Les douz’ cöps d’mînut’ sounant, c’es la distribucion du bouyion, din dès grandes cwannes du sôvadges bûs. Ca c’èst pou les r’kinker èt l’sî rinde leûr’esprit, duvant du r’prind la vöye èt r’monter su leûrs ramons an tchantant :
Po-zèsse bone macrâle
Dumandez- l’ou diâle
K’èst voci présint.
In’ fôt pus pon d’dint
I fôt fé come les vîs
Didins l’cou d’lèglîje.
I fôt s’acroupi (bis)
Dusous l’bènitî (bis)».
Document originel
Voici le document qui s'est transmis… par voie de presse et qu'Ernest Benoit a présenté dans sa langue d'origine.
«Le village de Villance est proche du chemin creux qui, de Libin-Haut, menant à Anloy, passe au bas de la côte des Ropettes, où la légende place les plus curieux sabbats des Ardennes. Par ce vieux chemin arrivaient les sorcières des environs d'Anloy qui, souvent, faisaient un crochet par Villance, y jetant, dit toujours la légende, de terribles maléfices ; elles se rencontraient au-dessus de la source de Rebefoy, avec leurs congénères des Baraques, de Banalbois, de Mirwart, de Hamaide et, sous la conduite de la plus âgée, s'amenaient à l'orée du bois de Chanmont.
Les gardiens et les servants avaient préparé un grand feu dans la bruyère et les danses, les jeux et les rites diaboliques commençaient et se continuaient jusqu'à ce que le repas fut prêt chaque village devait envoyer son offrande sous peine d'avoir à subir la malédiction de ces "macrales" que l'on redoutait plus que tout.
Libin-Haut devait apporter deux dindons ; Libin-Bas, deux oies de l'année ; Hatrival, trois jambons d'au moins deux ans, conservés sous la cendre de bois ; Arville, trois cochons de lait préparés pour être frits ; ceux de Redu, trois canetons et ceux de Transinne, deux poulets ; Lesse, naturellement, devait fournir les truites nécessaires et à Maissin incombait l'obligation la plus difficile à remplir : ses gens devaient apporter trois hérons fraîchement abattus, dont les filets étaient destinés aux chefs et dont les cuisses et les pattes, le cou et la tête étaient joints pour la cuisson des poissons à qui leur huile spéciale imprégnait un arôme rare encore en honneur dans nos services raffinés.
Sans doute, les "macrales" de Villance invitaient-elles parfois à leurs agapes et danses nocturnes leurs compagnons de Werpin, Liresse, Rochehaut, Sugny et autres lieux. Et avant de s'en retourner à cheval sur leurs balais, elles devaient chanter en chœur des couplets tels que celui-ci :
Pour être bonne macrale,
Demandez-le au diable
Qui est ici présent,
Il ne faut plus aucune dent.
Il faut faire comme les vieilles
Dans le fond de l'église,
Il faut s'accroupir (bis)
Sous le bénitier. (bis) »